La présidentielle loin d’être assurée en Ukraine

Agence France-Presse
KIEV et Kharkiv
L’organisation de la présidentielle en Ukraine le 25 mai est loin d’être assurée et deux millions d’électeurs de l’est rebelle pourraient en être privés, a mis en garde la Commission électorale samedi, Moscou ironisant sur un scrutin mené «au son des canons».
Parallèlement, la Russie a appelé Kiev à mettre fin à l’opération de l’armée ukrainienne dans l’est, accusant les militaires d’avoir recours à l’artillerie contre Slaviansk, un bastion des insurgés prorusses.
«On peut se demander si le déroulement d’élections au son des canons est conforme aux normes démocratiques d’un processus électoral», a ironisé le ministère russe des Affaires étrangères.
Incapable de reprendre militairement le contrôle des régions de Donetsk et de Lougansk, le gouvernement, né sur les barricades du mouvement de contestation de Maïdan à Kiev en février, tente depuis peu une nouvelle approche en organisant des «tables rondes» pour renouer les fils du dialogue avec les Ukrainiens de l’est.
Fédéralisme
Après une première table ronde mercredi à Kiev, qui a vite tourné au dialogue de sourds, les principaux ministres du gouvernement, deux ex-présidents ukrainiens, des parlementaires et des dignitaires religieux se sont retrouvés samedi à Kharkiv, centre industriel et culturel dans l’est du pays.
Cette grande agglomération a connu des heurts entre partisans de Kiev et tenants d’un rapprochement avec Moscou, mais pas d’insurrection armée comparable à celles de Donetsk et de Lougansk.
Pas plus qu’à Kiev, les séparatistes n’étaient représentés à la table ronde. Des personnalités politiques, qui prônent une collaboration étroite avec Moscou, étaient certes présentes, mais leur voix ne porte pas jusqu’à Donetsk et Lougansk, où ils sont souvent considérés par les séparatistes les plus convaincus comme des «traîtres».
«Ukrainiens, s’il vous plaît, servez-vous des mots, pas des armes», a lancé le diplomate allemand Wolfgang Ischinger, médiateur pour l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).
Le responsable local de Lougansk, Valeri Golenko, a quant à lui prôné le «fédéralisme», une réforme constitutionnelle encouragée par Moscou. «Les gens ne veulent pas vivre dans le pays tel qu’il est actuellement. Les habitants du sud-est, des régions de Donetsk et de Lougansk ne sont tout simplement pas respectés, on ne tient pas compte de leur opinion», a-t-il dit, appelant Kiev à cesser ses opérations militaires, préalable pour des négociations avec les séparatistes.
Le premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, a rejeté l’idée de fédéralisme, estimant que cela conduirait à la «féodalisation» du pays. L’Ukraine ne pas doit être un ensemble «de petites enclaves où chaque homme d’affaires pourrait s’offrir le conseil municipal», a-t-il asséné.
La veille, les présidents américain, Barack Obama, et français, François Hollande, avaient menacé le maître du Kremlin, Vladimir Poutine, de nouvelles sanctions. «La Russie devra faire face à des coûts supplémentaires importants si elle maintient son attitude provocatrice et déstabilisatrice», avaient-ils mis en garde.
Washington et Bruxelles ont déjà adopté des sanctions diplomatiques et économiques sans précédent contre des sociétés russes et des dizaines de personnalités russes dans le bras de fer diplomatique le plus intense entre Occidentaux et Russes depuis la chute de l’URSS.
Menaces contre les commissions électorales
Mais alors que la date du scrutin approche, la Commission centrale électorale a tiré la sonnette d’alarme. Dans un communiqué, l’institution se dit incapable de préparer et d’organiser le scrutin dans de nombreuses parties des régions de Donetsk et de Lougansk qui ont proclamé leur «souveraineté» après des référendums d’indépendance.
La Commission cite plusieurs cas d’antennes locales où la sécurité de ses fonctionnaires n’est pas assurée et fait état de cas de «menaces et de pressions physiques contre les membres des commissions électorales».
Au total, selon un comptage de l’AFP à partir des chiffres officiels d’électeurs enregistrés dans ces commissions, près de deux millions d’électeurs, sur les 36 millions du corps électoral ukrainien, pourraient être empêchés de voter.
Selon un sondage récent, un tiers seulement des électeurs de l’est se disent prêts à voter.
Vendredi, l’ONU avait dressé un tableau inquiétant de la «détérioration» de la situation des droits de l’Homme dans l’est, énumérant les cas de torture, de meurtres, d’enlèvements et d’intimidations visant hommes politiques locaux et journalistes.
Le rapport de l’ONU avait été fustigé par Moscou qui a accusé ses auteurs de répondre à «une commande politique pour “blanchir” les autorités autoproclamées de Kiev».
L’opération menée depuis un mois par l’armée ukrainienne pour reprendre le contrôle de l’est a des objectifs précis: désarmer les groupes rebelles prorusses, libérer les bâtiments occupés et rétablir l’autorité de Kiev dans ces régions où vivent quelque sept millions d’habitants.
Mais pour l’instant, l’opération est un échec et les séparatistes continuent d’étendre leur contrôle.
Dernières preuves de l’impuissance de Kiev: les gardes-frontières ont dû relâcher Valéri Bolotov, un chef séparatiste de Lougansk qu’ils venaient d’arrêter après avoir essuyé l’assaut à coups de grenades de dizaines de séparatistes. Vendredi soir, des hommes armés avaient pris sans avoir recours à la force le contrôle du quartier général de forces spéciales du ministère de l’Intérieur de Donetsk.